|
|
|
Article
paru dans LES CAHIERS du CINÉMA
n°371/372, mai 1985 (dossier l'enjeu
scénario)
Entretien réalisé
par Florence Mauro. |
Cahiers
du Cinéma : Lisez-vous
beaucoup de scénarios ?
Nathalie Baye : Une vingtaine
ou une trentaine par an à peu près.
Cahiers
: Y a-t-il une priorité dans les sujets
que l'on vous propose ?
Nathalie Baye : Non, il y a les
bons et les mauvais scénarios. Je n'ai
pas envie de m'orienter vers un genre. Une vraie
comédie, un vrai policier, un vrai film
d'amour ou d'aventure : peu importe, tout
m'intéresse. Le scénario est un
outil de travail, ce n'est ni un film, ni un livre,
c'est quelque chose d'un peu ingrat. Rares sont
les scénarios qui sont vraiment construits
et aboutis. Très souvent, nous recevons
des scénarios contenant une idée,
mais cette idée est dispersée et
s'éparpille dans tous les sens. Je ne lis
pas le scénario d'un policier sous prétexte
que j'ai envie de tourner dans un policier. Avant
de lire un scénario, je m'imagine que je
vais au cinéma, que je vais payer une place
cher, que je vais essayer de me garer sous la
pluie, que j'aurai un P.V. en sortant... Le film
me fera-t-il rêver ? Me racontera-t-il
une histoire ? Y aura-t-il un véritable
ton, un véritable univers, de bons dialogues ?
La plupart du temps, les scénarios ne contiennent
pas grand chose et vous tombent un peu des mains.
Cahiers
: Vous privilégiez donc la qualité
du scénario, sa structure, par rapport
à l'intérêt du rôle
que l'on vous propose.
Nathalie Baye : Oui, il faut
qu'il y ait une vraie construction, une vraie
histoire. Un très bon rôle dans un
mauvais scénario ne veut rien dire.
Cahiers
: Les scénaristes ne vous voient-ils pas
trop à l'image du rôle que vous venez
de jouer ?
Nathalie Baye : Tout le monde
est victime de cela, on a toujours une image.
Mais j'avoue honnêtement que l'on m'imagine
beaucoup moins dans un type de rôle qu'il
y a deux ou trois ans. Il n'y a pas de très
bons rôles de femme. Ils sont répétitifs.
Beaucoup de comédiennes le disent et c'est
vrai. Les rôles de femmes sont souvent des
rôles de faire-valoir. Je préfère
jouer un petit rôle dans un film bien construit,
merveilleusement écrit, que d'avoir un
beau et très grand rôle dans un scénario
mal construit.
Cahiers
: Pourriez-vous préciser cette notion de
beau rôle pour une femme ?
Nathalie Baye : Même si
le scénario présentait quelques
erreurs, il y avait dans Le Retour de Mariin
Guerre un beau rôle de femme et un
très beau rôle d'homme. Le rôle
de l'homme était plus abouti mais celui
de la femme existait vraiment. Je ne dissocie
pas le scénario du rôle, je n'accepterais
pas de jouer un rôle quelconque dans un
beau scénario, ni de jouer un grand rôle
dans un scénario qui n'a pas de raison
d'être. Il faut faire un film parce qu'on
ne peut pas faire autrement. On fait trop de films
comme ça… en se demandant pourquoi
on les fait. Il est de plus en plus difficile
de monter un film : il faut que lorsque l'on
décide d'en faire un, ce soit une histoire
un peu unique.
Cahiers
: Les scénaristes écrivent-ils pour
vous, en pensant à vous ?
Nathalie Baye : Il est arrivé
que des scénaristes écrivent en
pensant à moi mais que ce qu'ils avaient
écrit ne me séduise pas. Un acteur
est très versatile, ses envies changent.
On joue un peu un rôle par gourmandise.
Si j'adore le chocolat, je ne pourrais pas en
manger tout le temps. Il y a des périodes
pendant lesquelles vous avez envie d'aller vers
tel type de personnage puis, le temps que la personne
y pense ou écrive sans vous le dire, vous
êtes dans un autre état d'esprit.
Les acteurs ne sont pas constants dans leurs désirs.
Un vrai scénario, bien construit, avec
de très beaux rôles comme il y en
a eu à certaines époques, cela existe
de moins en moins. On fait trop de films sur des
idées, sans rigueur. Aujourd'hui, les idées
sont remplacées par des effets, des trucs,
de l'argent. On croit être très audacieux
parce que l'on a osé montrer des scènes
plus érotiques ou violentes. En revanche
on n'ose plus écrire de vrais sentiments,
on dit : « On ne va quand même
pas faire ça ! ». Les sentiments
sont remplacés par une pseudo arrogance
dans la violence. Il y a en réalité
un grand manque d'audace aujourdhui. Cela dit,
il y a aussi la manière dont le scénario
est utilisé. Le scénario de Maria's
Lovers est assez simple : un homme vient
trouver une femme qu'il aime mais n'arrive pas
à lui faire l'amour. Cela n'est pas très
compliqué mais il y a derrière un
réalisateur plein de talent. C'est un scénario
simple mais bien construit. Maintenant, on aime
faire des choses compliquées. Les américains
font beaucoup d'histoires de petits bonshommes
verts, mais des metteurs en scène comme
Altman ou d'autres n'arrivent plus à faire
de films alors qu'ils en ont fait de sublimes !
Les Américains font du cinéma-gadget
ou des remakes de nos scénarios d'il y
a dix ans. Les français s'extasient toujours
sur ce qui se passe à l'étranger.
Nous ne sommes sans doute pas plus brillants,
mais sûrement pas plus mauvais. Il n'y a
presque plus de films italiens ou américains
qui aient un bon scénario. Il y a partout
un réel problème du scénario.
On n'ose plus raconter une histoire, ou on n'a
plus d'idées.
Cahiers
: Avez-vous incité quelqu'un à écrire
pour vous ?
Nathalie Baye : J'ai sans doute
été trop marquée par la danse,
une discipline qui incite à une obéissance
et à une docilité qui m'ont empêchée
d'oser. J'ai toujours une certaine pudeur à
demander à quelqu'un d'écrire pour
moi, il n'en a pas nécessairement envie.
Mais je suis en train de grandir et de progresser...
J'ai des idées de comédie et je
pousse quelqu'un à en écrire une.
Le scénario d'une comédie est très
difficile à construire. Je n'aime pas les
scénarios où de petites scènes
se suivent les unes après les autres, et
où il ne reste finalement rien parce qu'il
n'y a pas de sujet.
Cahiers
: Travaillez-vous les dialogues avec le scénariste ?
Nathalie Baye : Il m'est arrivée
de faire changer des dialogues. Lorsqu'un acteur
n'arrive pas à dire sa réplique,
c'est toujours de la faute du texte. Au moment
du tournage, l'acteur est prioritaire. Mais je
ne modifie rien au dernier moment car j'ai horreur
de l'improvisation : elle ne donne la plupart
du temps que de mauvais résultats. Avant
de commencer un film, il y a des discussions,
des lectures, et je note les choses qui ne me
plaisent pas. Ce n'est pas l'intérêt
du scénariste ou du réalisateur
que d'obliger un acteur à dire quelque
chose qui ne lui plait pas ou qu'il n'arrive pas
à dire.
Cahiers
: Vous n'avez donc pas rencontré certaines
oppositions ?
Nathalie Baye : On en rencontre
lorsque le metteur en scène est l'auteur
et le dialoguiste de son scénario. Bertrand
Blier, qui écrit très bien et reste
dix mois enfermé dans son bureau à
jouer tous les rôles ne peut s'imaginer
que quelqu'un ait une sensibilité différente
de la sienne. Si l'acteur entre la plupart du
temps dans son texte avec délice, il peut,
dans certains cas, ne pas y arriver parce qu'une
réplique ne rentre pas dans sa bouche.
Mais ses dialogues sont toujours très séduisants
et ce n'est pas gênant. Les dialogues que
l'on n'arrive pas à dire sont les mauvais
dialogues. Certains metteurs en scène,
Pialat par exemple, portent leur film dans leur
tête. Ils savent exactement ce qu'ils veulent
mais, par une espèce de pudeur, ne veulent
rien montrer sur le papier. Pialat arrivait sur
le tournage de La Gueule ouverte avec
des bouts de dialogues au fond de ses poches et
nous demandait d'improviser. C'était chaque
fois un échec. Au bout d'une heure, il
se décidait à nous livrer ses propres
dialogues.
Cahiers
: Aimez-vous les scènes détaillées,
les scénarios précis ?
Nathalie Baye : Je le répète :
le scénario est avant tout un outil de
travail. Une fois le film fait, le scénario
n'existe plus. Il n'est pas possible de faire
un film sans scénano de même qu'il
n'est pas possible de faire un film sans caméra.
Je veux rêver, avoir peur, être touchée
par un scénario. Si le scénario
est excellent, le film doit être aussi bon,
sinon meilleur que ce scénario. Le scénario
est un tremplin, ce n'est pas une petite base.
Ou alors on travaille avec Godard, sans scénario,
et c'est autre chose, une autre histoire...
Cahiers
: Parlez-nous de cette histoire.
Nathalie Baye : Pour Sauve
qui peut, il y avait un synopsis admirable
mais c'est surtout Godard qui m'a donné
l'envie de faire ce film. Pour Détective,
il y avait un scénario, mais il est évident
que Godard a dû en garder quatre virgules
et deux points de suspension. Je crois qu'il n'a
pas même gardé les prénoms
des personnages. Décider de faire un film
avec Godard, c'est décider de partir dans
une aventure. J'ai fait un film avec Jean-Luc
pour changer d'univers, pour être secouée.
Et je l'ai été. J'ai envie d'oublier
ce que je crois savoir et ce que je ne sais pas,
j'ai envie de découvrir autre chose. Il
n'y a pas d'improvisation non plus : Godard
est très directif et sait exactement ce
qu'il veut. Il nous oblige à une disponibilité
totale, ce qui est très difficile. Lorsque
vous avez un scénario précis et
que vous arrivez sur le plateau en sachant quelle
scène vous allez tourner, vous avez un
bagage, une idée sur le personnage. Avec
Jean-Luc, il y a un dialogue, mais on ne sait
pas exactement ce que l'on va faire. Si on est
très disponible, il est très simple
de tourner avec lui et cette simplicité
est quelque chose de merveilleux. Il nous porte
et on se laisser aller. Souvent, un metteur en
scène a son scénario et ses dialogues
en tête mais pense tellement à tous
ses problèmes qu'il n'est pas vraiment
présent au moment où l'on tourne.
Jean-Luc est totalement présent. Il nous
donne de très beaux dialogues, généralement
la veille, quelquefois le matin et, dans les moments
de grande euphorie, deux jours avant de tourner.
Il nous donne beaucoup. J'ai parfois été
touchée ou énervée par lui,
et sans doute pas très gentille parce qu'on
a envie de se défendre lorsque c'est douloureux.
Il fait partie des metteurs en scène qui
m'ont le plus donné, le plus apporté.
Personne ne m'a filmée à l'instant
de tourner avec plus de tendresse. Il n'a pas
changé depuis Sauve qui peut dans
son approche du scénario. Il a évolué.
Personne ne change et c'est bien ainsi. Pour Détective,
il avait réellement envie d'un scénario
construit, puis sa nature profonde est revenue :
il a pensé qu'il pouvait faire des choses
plus intéressantes que le scénario
établi. Il aurait mal fait quelque chose
qui ne correspondait pas à son univers.
Cahiers : Vous
avez travaillé avec des cinéastes
de la Nouvelle Vague. Etait-ce par rapport à
une certaine approche du scénario ?
Nathalie Baye : Ce sont des gens
qui m'ont séduite. Malheureusement et heureusement,
dans un film, il y a le metteur en scène.
Il peut arriver qu'on vous présente un
scénario extraordinaire et que le réalisateur
en ait une idée tout à fait différente
de la vôtre. C'est encore plus vrai pour
un scénario que pour un livre. J'ai toujours
rêvé que le même scénario
soit tourné par quatre ou cinq metteurs
en scène différents, chacun faisant
sa propre distribution et sa propre mise en scène.
Ce serait passionnant à étudier.
Un acteur est un caméléon :
il peut jouer du Shakespeare, du Molière,
du Courteline, du théâtre de boulevard
puis du Duras, c'est ce qui est intéressant.
Je peux ainsi travailler avec des cinéastes
très classiques comme Philippe Labro qui
est un homme d'action. En ce qui concerne le scénario,
le découpage est sans doute plus précis
mais tous les metteurs en scène sont précis
d'une manière ou d'une autre. Godard est
le seul metteur en scène qui me dise de
placer ma tête ou ma main de telle façon
à tel moment précis. Un metteur
en scène doit se laisser surprendre par
ses acteurs et toujours aller plus loin. Je ne
regrette pas l'univers de la danse mais il y avait
une rigueur et un manque de complaisance à
la fois difficiles à vivre et très
stimulants. Au cinéma, on se contente du
"juste", jamais du "plus".
On compense le manque d'idée du scénario
par une image sublime ou des costumes somptueux.
On s'aperçoit parfois que, lorsqu'il n'y
a plus un son correct ni une belle image, il ne
reste plus rien.
Cahiers : Ne sentez-vous
pas pourtant un retour en force du scénario ?
Nathalie Baye : Si bien sûr,
je sens qu'il y a un mouvement, un changement.
Il y a une remise en question du scénario
au niveau de la production. Les gens se disent
que leurs films n'ont pas marché parce
qu'ils les ont montés sur des scénarios
trop faibles. Je tourne en ce moment Lune
de miel de Patrick Jamain. Son scénario
est l'un des meilleurs que j'ai lu ces douze dernières
années. Il a été travaillé
et retravaillé à l'américaine
par Philippe Setbon et Patrick Jamain. C'est un
scénario construit, abouti, avec de vrais
personnages, un scénario sans complaisance
et plein d'humilité. Il y avait longtemps
que je n'avais pas rencontré de gens qui
travaillent ainsi. Il y a un test : lorsque
je lis un scénario et que je le pose six
ou sept fois avant de le terminer, c'est très
mauvais signe. Lorsque le scénario est
lu d'une traite, c'est la preuve qu'il y a une
construction et que quelque chose se passe. Ensuite,
il est toujours possible de rectifier certains
dialogues. Un cinéma pointilliste, aujourd'hui,
ne peut plus pousser les gens à aller au
cinéma. Les acteurs ne suffisent pas non
plus, il faut faire rêver les spectateurs.
D'où l'importance d'un bon scénario.
Un bon scénario est la piste d'envol d'un
grand film.
|