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Entretien
paru dans CINÉ LIVE n°27 en
septembre 1999
Nathalie Baye
XX Elle
QUAND "ELLE"
S'ACCOMPLIT À CŒUR PERDU DANS UNE
LIAISON PORNOGRAPHIQUE, NATHALIE BAYE CONFIE
À CŒUR OUVERT SA PASSION CINÉMATOGRAPHIQUE.
SON PLAISIR À EXPLORER INLASSABLEMENT LES
ZONES D'OMBRE DES FEMMES
D'AUJOURD'HUI, ELLE NOUS LE COMMUNIQUE AVEC LA
DOUCEUR, LA CAUSTICITÉ ET LE CHARME ÉPANOUI
D'UNE COMÉDIENNE TOUS RISQUES.
Par Philippe Paumier.
Ciné
Live : Si je t'aime prends garde
à toi, Vénus beauté
(Institut), aujourd'hui Une liaison pornographique :
avez-vous délibérément choisi
d'incarner à la suite trois femmes culottées,
qui expriment et revendiquent leur sexualité ?
Nathalie Baye : Ce n'est
pas une question de volonté mais de choix,
car je ne suis allée ni demander ces rôles
ni les suggérer. C'est vrai que ces trois
personnages ont en commun d'être des femmes
de notre époque, mais je trouve qu'elles
sont complètement différentes les
unes des autres : Muriel est une cérébrale
qui veut vivre une passion, Angèle est
larguée, paumée, presque une vieille
fille ! "Elle", au contraire, s'accepte
telle qu'elle est, épanouie, sereine, qui
va jusqu'au bout de son audace en vivant son fantasme.
Ce que j'ai trouvé merveilleux, c'est de
ne rien savoir d'elle : c'est la qualité
de l'écriture qui m'a donné le souffle
de cette femme, et la direction de Frédéric
Fonteyne sa couleur. Avec Sergi Lopez, on s'est
laissés porter par le texte et je crois
que le bonheur de jouer avec lui est palpable
à l'écran. C'est peut-être
l'un des rôles qui m'a procuré le
plus jubilatoire des plaisirs : tout était
à construire et rien n'était impossible...
Ciné
Live : "Elle" affirme
que dans la vie, l'amour se situe souvent entre
la Berezina et le nsirvana. Est-ce que cela s'applique
aussi au métier de comédien ?
Nathalie Baye : Oui... et
non ! C'est vrai qu'il y a des moments plus
forts que d'autres dans une carrière. Ce
film-là, c'est un tout : la rencontre
avec un auteur, avec un réalisateur qui
nous filme avec amour et originalité, avec
un grand acteur. Il y avait de la grâce
sur ce tournage... Oui, c'était un peu
le nirvana! Par contre, je n'ai jamais vraiment
connu la Berezina au cinéma. (rires)
Ciné
Live : Vous n'êtes donc pas
du genre à vous plaindre de la dure condition
d'acteur !
Nathalie Baye : Je préfère
cette fameuse phrase "The show must go on".
Vous savez, lorsque l'on sent le travail et la
difficulté en voyant un grand danseur ou
un pianiste, c'est raté. Nous ne sommes
pas là pour raconter nos états d'âme,
nous faisons ce métier pour donner du plaisir,
du rêve ou amener la réflexion :
qu'il y ait des moments difficiles et pénibles,
tout le monde s'en doute, mais je trouve que nous
sommes tellement privilégiés par
rapport à la moyenne des gens que cela
me paraît indécent d'exposer nos
petits problèmes. J'ai juste envie de dire
aux jeunes comédiens, afin qu'ils ne se
brisent pas les ailes, que c'est un très
beau métier mais qui n'est pas simple et
qui vous bouffe la vie. Quant à moi, même
si j'avais incroyablement souffert pour tel ou
tel rôle, je ne vous le dirais jamais !
Ciné
Live : Est-ce que vous vous souvenez
du moment où votre carrière a basculé
du statut de comédienne estimée
à celui d'actrice populaire ?
Nathalie Baye : Ça
fait tellement longtemps, maintenant... En fait,
on se rend compte au départ que l'on a
une petite cote qui monte, surtout lorsqu'on a
la chance de commencer avec Truffaut, Pialat,
et de se voir offrir un premier rôle par
Tavernier dans un film qui marche très
bien ! Ensuite, il y a eu La balance,
J'ai épousé une ombre...
Mais franchement, j'ai perçu tout cela
de manière beaucoup plus progressive et
régulière. Je crois que cela vient
de la danse, qui m'a donné une rigueur,
une notion très forte du travail. Et puis
j'avais à côté une vie privée
tellement envahissante que j'ai toujours été
passionnée par mon travail, mais jamais
obsédée par ma carrière :
c'est pour cela que les choses ne se sont pas
trop mal passées dans ma tête. (rires)
Ciné
Live : S'il y a une constante dans
vos interviews, c'est ce rejet de l'image de femme
rectiligne. Au vu de votre filmographie, on a
du mal à comprendre d'où vient cette
représentation.
Nathalie Baye : Ça,
c'est un truc incroyable qui revient de manière
cyclique chez les journalistes, c'est même
devenu un classique ! Lorsqu'un journaliste
consciencieux prend la peine de voir les films
que j'ai tournés, on se rend forcément
compte que c'est invraisemblable. Alors, pourquoi ?
Une question posée il y a quinze ans, des
propos dans les dossiers de presse qui s'accrochent...
Peut-être aussi parce que c'est une image
qui vient d'un physique "classique"
– même si je ne me trouve pas
spécialement comme cela ! –,
que j'ai incarné des rôles en demi-teinte,
comme La provinciale ou Une semaine
de vacances. Et pourtant j'en ai joué
des passionnées, une mère pas à
la hauteur, une pute, des foldingues, même
une fille qui se tape des types dans un train !
(rires) À une époque où j'étais
moins expérimentée, je ne voulais
surtout pas être cataloguée, alors
je ruais dans les brancards quand on me parlait
de cette image lisse. Et puis je me suis rendu
compte que cela ne m'empêchait pas de mener
ma vie de comédienne comme je l'entendais,
que cette image-là, qui aurait pu être
celle de la glacée ou de la névrosée,
me protégeait. Alors on finit par transcender
facilement ce truc-là.
Ciné
Live : En définitive, l'explication
ne réside-t-elle pas dans le fait qu'il
y a toujours un aspect sympathique, identificatoire
jusque dans vos rôles les plus sombres ?
Nathalie Baye : Eh bien,
voilà, oui ! Sympathique, ce serait
un peu trop culotté de ma part, mais c'est
vrai que l'on s'identifie beaucoup aux personnages
que je joue, et même, curieusement, avec
les plus lointains... Quand même, cette
Angèle qui va s'offrir à tous les
mecs de la gare du Nord, j'ai du mal à
croire que toutes les femmes en rêvent.
(rires) C'est aussi parce que j'aime les rôles
comme j'aime les gens, ceux qui ne sont jamais
d'un seul bloc : nous sommes tout et son
contraire, et c'est passionnant de voir comment
les gens tâtonnent à la recherche
d'un équilibre entre ces deux versants.
Il n'y a rien de plus séduisant que la
dualité du personnage d'Anne Baxter dans
Eve !
Ciné
Live: En même temps, vous avez
eu plaisir à jouer un rôle au service
d'un thriller comme Lune de miel. Bref,
à faire du cinoche !
Nathalie Baye : Bien sûr,
c'est amusant d'entrer dans une histoire avec
un côté physique, la course à
pied, jouer la peur. D'ailleurs, ce désir
de diversité, je l'ai toujours eu au Conservatoire :
dans les concours de sortie, je passais avec joie
de «La putain respectueuse» aux «Jeux
de l'amour et du hasard». J'ai cette envie
de tout jouer, les méchantes, les folles,
les sages, les grands classiques comme les modernes :
c'est ma façon de voyager, de renconter
un univers, un metteur en scène, une langue...
Quel bonheur de rencontrer des gens qui vous bousculent,
vous enrichissent... enfin, de temps en temps,
ils vous chargent plutôt qu'ils ne vous
enrichissent !
Ciné
Live : Godard n'est-il pas celui
qui réussit le mieux faire abstraction
du passif de l'acteur ?
Nathalie Baye : C'est vrai
que j'ai adoré travailler deux fois avec
lui : c'était vraiment décapant,
presque un nettoyage à sec. Il vous empêche
de tomber dans vos tics. C'est un voyou et un
voleur, car si les acteurs sont toujours bons
avec lui, il parvient aussi à faire ressortir
des choses dont on n'a pas conscience : c'est
quelque chose qui m'avait frappée en voyant
Sauve qui peut (la vie). Il est tendre
mais aussi dur, et moi cela ne me dérange
pas car, encore une fois, lorsque l'on vient de
la danse, tout vous paraît simple à
côté ! Il y a des films de lui
que j'adore et d'autres qui me passent à
côté, même s'il y a toujours
quelques passages éblouissants : il
peut vous monter les larmes aux yeux rien qu'en
filmant un visage ou un ciel. Aujourd'hui, on
est tellement saturés d'images et d'effets
que l'on peut vivre au cinéma des trucs
invraissemblabes pendant deux heures sans avoir
une seule émotion, ce qui est tout de même
le plus emmerdant. (rires)
Ciné
Live : Diriez-vous qu'aujourd'hui,
et plus que jamais, votre motivation d'actrice
est de trouver le rôle le plus éloigné
de votre personnalité ?
Nathalie Baye : (sourire
lumineux) Ah oui, j'aime avoir peur, alors plus
le trajet est long, plus le vertige est grand !
Je crois que les femmes de Notre histoire
et d'Un week-end sur deux sont les plus
éloignées de moi, et le travail
n'en a été que d'autant plus passionnant.
Cela ne signifie pas que les rôles qui me
sont plus proches soient moins excitants :
par exemple, la prof d'Une semaine de vacances,
je pensais que je ne saurais pas l'interpréter,
moi qui ai quitté l'école à
14 ans et qui n'ai jamais fantasmé sur
les profs ! Mais plus le personnage est à
construire hors cadre, riche de ses contradictions,
plus cela m'amuse de gratter et de fouiller pour
le bâtir.
Ciné
Live : Ce projet sur la vie de George
Sand qui vous tient à cœur depuis
des années a-t-il une chance de voir le
jour ?
Nathalie Baye : (Elle éclate
d'un rire franc.) Non, je ne crois pas !
Pourtant j'adore cette femme, et je relisais encore
récemment un passage de sa correspondance
avec Flaubert : elle est démente,
capable d'avoir cinquante mille occupations à
la fois. Mais trop de choses ont été
faites sur elle et cela m'a un peu coupé
les ailes. Et puis, à force de trop parler
d'un truc, j'ai l'impression de l'avoir réalisé,
alors je passe à autre chose. En fait,
initier un projet n'est pas dans mon caractère,
c'est bizarre, hein ? Je suis trop rêveuse,
trop flemmarde. Peut-être que lorsque je
mettrai moins d'énergie dans ma vie privée,
je saurai en mettre davantage dans ma vie professionnelle...
[regard interloqué... de l'interlocuteur]
Ah non, comprenez-moi bien : j'arrive à
être incroyablement disponible dans mon
métier à partir du moment où
je suis désirée par un réalisateur.
Je ne suis pas faite pour la mise en route, mais
à partir du moment où je rentre
dans le désir de l'autre, je file comme
une locomotive !
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